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Arts et technologies

Bibliothèques criminelles

2024-07-19 18:40

Censures autoritaires / liberté d'expression

Sur le même marché des idées, des ouvrages réactionnaires circulent en toute impunité, soutenus par les médias qui se présentent comme neutres, relayant ce qui fait la norme. Ils citent pourant rarement leurs sources, n'évoquent pas l'implicite de leur bain culturel. Prennons l'exemple des œuvres iconiques de Ayn Rand : The Fountainhead 1943 / Atlas Struggle 1957. Elles traduisent l'idéal de fond d'une pensée libertarienne, ultra-individualiste. Ces romans initiatiques, constituent une force contre l'idéologie du commun et sont devenus des bestsellers (américains).

? Que nous dit la présence de ce livre dans la bibliothèque de Bernard Madoff ? Qu'en serait-il de celle de SBF en 2023 ? N'y trouverions-nous que des livres sur l'altruisme efficace ? Partage-t-il le même corpus idéologique que Sam Altman (SBF et Sam_Altman se revendiquant de l'altruistme efficace) ? Qui a-t-il dans la tête de celles et ceux qui font le capitalisme d'aliénation dans lequel nous (sur)vivons ? De telles projections pourraient elles, par l'agencement des corpus théoriques qui ont fait leur pensée, nous aider à mieux comprendre les dérives que leurs entreprises ont —ou vont— causer ?

Forget the Money : Bernard Madoff

? Quand Julien Previeux expose la bibliothèque privée de Bernard Madoff (extirpée des enchères visant à indemniser les victimes suite à son procès) que nous montre-t-il ? Que documente cet assemblage de textes si ce n'est la fétichisation d'objets marchands, devenus reliques d'un esprit malade sinon brillant ?

Nous voudrions la penser comme bibliothèque de l'ombre, celle qui révèle sans second degré, les sources, l'origine d'une machine capitaliste. L'installation Forget the Money (2011), c'est son nom,

external landscape
https://www.previeux.net/fr/works-forgetmoney.html

nous donne accès à une bibliothèque, à sa physicalité, celle d'un espace habitable privé rendu public. À la lecture des titres, il nous semble accéder à l'essence idéologique d'un capitalisme prédateur dont Madoff est devenu une figure médiatique, un ambassadeur de choix avant d'être déchu (passant de génie à traître/manipulateur).

Par cette intrusion dans l'espace mental de cet homme, nous poursuivons le récit qu'il avait mis en place. Ces reliques, comme autant de ready-made, lui ont appartenu mais les a-t-il lus ? Quelle était sa véritable érudition quant aux sciences économiques et sociales ? En parcourant ces étagères, il nous semble accéder à un corpus qu'on imagine commun à la classe sociale qu'il côtoyait et dont il parlait la langue. Faut-il présager que tout lectorat d'un pareil corpus soit à craindre comme imposteur ? Cette bibliothèque reflète un bain culturel commun d'une certaine élite capitaliste mais c'est avant tout celle d'un homme qui lit aussi des romans policiers, pas uniquement de la théorie financière ou de magie noire.

Una bomber

Comme seconde bibliothèque de l'ombre, nous pensions à celle d'Una Bomber. Dans les années 1980 après une longue traque, le FBI finit par retrouver la piste de cet écoterroriste, réfugié dans une cabane dans la forêt américaine. Elle est devenue un mème artistique/culturel, figure géométrique associée à la folie d'un homme vivant, recul du monde qu'il hait pour les destructions qu'il fait subir à l'environnement. Militant radical, il envoie de nombreux colis piégés (bombes) aux ennemis de sa cause : l'industrialisation. Figure archétypale de l'activiste dangereux, assimilé parfois à la figure de Henry David Thoreau, son abrit de fortune, sa cabane, prise en photographie dans les entrepôts du FBI (à l'esthétique dépouillée d'une galerie d'art) encouragera les artistes à assimiler cet artéfact politique dans leur œuvre (comme ready made visuel). Rendue iconique, la cabane devient un mème artistique, ici reconstitué durant l'exposition Chasing Napoleon au Palais de Tokyo (2009) [ref]

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via https://www.paperblog.fr/2416533/l-exposition-chasing-napoleon-au-palais-de-tokyo/



Dora Winter, The Unabomber Book Collection, 2008 2009 donne une idée de ses lectures, de son inspiration idéologique. Et, ici encore, l'idée de censurer ces ouvrages semble préférable.
external landscape bibliothèque de l'ombre
via https://we-make-money-not-art.com/chasing_napoleon_at_the_palais/

L'affaire menée par le FBI a rendu publique la liste complète de ses lectures dont :

  • Asimov's Guide to the Bible
  • I and II of Les Miserables
  • Growing Up Absurd by Paul Goodman
  • Ice Brothers by Sloan Wilson
  • Violence in America: a Historical and Comparative Perspectives
    Soit 239 (source) livres retrouvés dans la cabane du terroriste, hégérie d'une culture technocritique radicale.
    Source complète, site dédié :
    https://www.thetedkarchive.com/library/most-complete-fbi-list-of-ted-s-books

On voit ici encore comment le livre, source d'une orientation politique, peut fasciner et endoctriner. Nous avons cette idée assez banale/commune qu'un livre peut changer un homme. Les bibliothèques disent évidemment quelque chose de l'individu qui les maintient, de son bain théorique, de ses aspirations ; quelque chose d'un espace mental et intime dans lequel se projeter ; il est plaisant de retourner aux origines, d'essayer de comprendre les déclencheurs à l'origine d'un méfait ou d'une carrière.


Au regard d'événements tragiques ou inquiétants, l'explication pourra se porter sur les lectures qui ont pu encourager de tels actes. Comme ce fut le cas cette année, alors que la police française enquête sur des attentats/sabotages aillant eu lieu sur les réseaux férrés :

"Dimanche, un homme de 28 ans a été interpellé à Loissel (Seine-Maritime) alors qu'il se trouvait sur un site de la SNCF. Dans son véhicule, les enquêteurs ont découvert "des clés d’accès à des locaux techniques de la SNCF", des "pinces coupantes, un jeu de clés universelles, ainsi que de la littérature en lien avec l’ultragauche". Il avait notamment l’ouvrage de Romain Huët, "Le vertige de l’émeute : de la Zad aux Gilets jaunes" (Éditions PUF). L’homme a été placé en garde à vue à Rouen."

France24, le 29/07/2024 à 18:51, https://www.france24.com/fr/france/20240729-ultragauche-manipulation-étrangère-ce-que-l-on-sait-de-l-enquête-sur-les-actes-de-sabotage

BlackBooks / WuMing

Un dernier corpus politique d'œuvres nous semble ici intéressant pour l'image politique qu'il met en scène. En 2011, WuMing, fait état de manifestations politiques dans l'espace public italien. Durant cet affrontement, la tête de cortège se protège du coup des matraques derrière la couverture de livres aux titres politiques évocateurs (pour qui les ont lus ou connaissent la référence). L'objet vertical, rectangulaire, prend la dimension d'un corps debout jusqu'à l'épaule. La force policière se retrouve alors à taper la matraque au poing sur la couverture de livres boucliers. L'image paraît tout dire d'une volonté d'atteindre les corps quand, en vérité, ce sont les idées qu'on attaque. Sorti de leurs terroirs et bibliothèques, l'objet livre devient l'étendard d'une idéologie politique en action, ce par quoi sont motivées les luttes (certaines du moins). Ce corpus collectif donne de la force à l'action, affine les positions politiques individuelles, renforce les intuitions, outille théoriquement aussi bien qu'en pratique.

Les noms des auteurs et des autrices se substituent à ceux des individus encagoulé·es. La stratégie militante de l'anonymat protège la source d'activités répréhensibles par la loi. L'individu perd ainsi son identité singulière et sociale, endosse celle collective du bloc manifestant. En face de lui, celui de la police qui cherchera, elle aussi, à échapper parfois à l'enquête et à la surveillance de ses actes (en dissimulant son RIO). Deux masses uniformes, niant l'individu, se font face sous leurs carapaces. Ce jour, la bibliothèque mobile est portée par une foule maquée dont on fait souvent le récit pour dire combien elle détruit sans limite : le black bloc. En affichant les sources de son endoctrinement volontaire, ces membres citent leurs sources, sortent de la bêtise qu'on leur attribue souvent. Ce chaos noir, cette obscurité, a des idées et des buts, des origines et des revendications. Cette masse n'a pas la tête vide, elle se situe sur le terrain des luttes. L'anonymat fait partie des moyens de résistance à la surveillance, au contrôle et à la répression qu'elle subit et provoque.